Judo International: Voix du Japon par Gotaro Ogawa

Kaori YAMAGUCHI: Porte-drapeau japonaise de la réforme du judo

Le changement du judo international est particulièrement rapide ces derniers temps. Face aux divers challenges qui en découlent, on se demande comment apporter des solutions. Au Japon, bien sûr, les judokas en parlent beaucoup, mais plutôt, je ne sais pourquoi, en privé. Pourtant, Kaori YAMAGUCHI, pionnière du judo féminin japonais, fait figure d'exception. Elle réfléchit et s’exprime sur des sujets très variés relatifs au judo.
A partir du 1er janvier 2009, elle a notamment lancé un blog intitulé « Réfléchir sur le judo par Kaori Yamaguchi » ( site en japonais ) à travers lequel elle diffuse des informations concernant le judo et exprime ses opinions. Les réactions de la part des visiteurs du blog se sont multipliées et le site est en train de devenir un lieu de discussion pour les sujets ayant trait au judo.
Récemment, le judo féminin japonais se distingue par des victoires répétitives dans des grands tournois internationaux. Cependant, dans la gestion du judo au Japon, ce sont toujours les hommes qui dominent les affaires. Elle mène donc une bataille solitaire; mais l’action de Kaori Yamaguchi mérite une attention particulière de par la qualité de son esprit réformiste. Examinons donc les arguments qu'elle présente dans son blog. (le 21 avril, 2010)

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Kaori Yamaguchi aux Jeux Olympiques de Séoul en 1988. Stage du Judo pour les enfants.

(C.V. de K. Yamaguchi)
Commence le judo à l’âge de 6 ans. Championne du Japon par catégories de poids pendant 10 années consécutives entre 1978 et 1987. Médaillée d’or au Championnat du monde en 1984 ( -52 kg ), Médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Séoul en 1988 (-52 kg ).
Actuellement, cumule plusieurs fonctions au sein de la Fédération japonaise du judo et s’engage dans de diverses activités du judo y compris l'enseignement des enfants. Professeur associée à l’Université de Tsukuba.
( Les parenthèses indiquent la date de publication de l’article concerné )

Motif d’ouvrir le blog et les tâches des milieux du judo

Yamaguchi explique ainsi ce qui l'a poussée à lancer son blog:
« Après les Jeux olympiques de Pékin, dans quelle direction le judo japonais devrait-t-il aller ? Ce que je voudrais proposer, c’est d’essayer de rendre publiques les informations sur le judo et de créer un monde du judo bien transparent. --- J’entends ne rien cacher aux visiteurs du site et faire en sorte que celui-ci devienne un forum du judo. Les milieux du judo ont besoin de changement. Avec vous tous, j’aimerais faire naître un nouveau mouvement du judo.( 1er jan., 2009 ) »
En suite l’auteur cite les thèmes dont elle souhaite de discuter dans ses pages( 3 jan.. 2009 )
1) La FIJ et le rôle du Japon. ( Sous le puissant leadership du Président Vizer, la Fédération mondiale mène des réformes précipitées. Quel y serait le rôle du Japon? )
2) Qu’est-ce qu’est le judo que le Japon devrait chercher à rétablir? ( Le judo en tant qu’éducation et le judo dont l’objectif absolu est de gagner les médailles d’or sont-ils compatibles? Comment sélectionner les compétiteurs dans cette optique? Comment enseigner la courtoisie en tant qu’élément fondamental du judo? )
3) Quoi faire pour que le judo pratiqué soit ce qu’est le judo ? ( Comment faire face à la situation où l’on voit moins en moins de seoi-nage, uchimata, oosotogari, etc., alors que les attaques aux jambes ou plaquages s’appliquent souvent, et que le temps passé avec le kumi-kata saisi est fortement réduit? Est-ce une question de règles ou celle de l’éducation ? )
4) Comment ressusciter le Kodokan? ( Le Kodokan d’aujourd’hui manque de l’esprit de service aux judokas japonais et étrangers qui y viennent en quête du vrai judo. )

 

Le Kodokan et la Fédération japonaise du Judo

Depuis déjà pas mal de temps, Madame Yamaguchi a préconisé la séparation des fonctions du Kodokan et de la Fédération japonaise et s’oppose ainsi au système actuel où la même personne cumule la fonction de la présidence du Kodokan et celle de la Fédération nationale. Dans son blog, elle poursuit ainsi :
Le Kodokan devrait assumer le rôle de « l’institut de l’éducation ou l’académie du judo» alors que la Fédération a pour but majeur la formation et l’entraînement des compétiteurs. Ainsi, le Kodokan pourra, par exemple, mener une étude pour développer un système international d’octroi de Dan ou organiser une conférence internationale au sommet du judo, annuel ou biannuel. Le Kodokan devra promouvoir l’essence du judo créé par Maître Kano, tout en tenant compte des mouvements mondiaux, construire une centrale du judo et accueillir cordialement tous les judokas de part et d’autre du monde.( 19 jan., 2009, 21 fév., 2009 )
Par ailleurs, elle prétend que, pour la tête du Kodokan et de la Fédération, il faudrait sélectionner une personnalité dont les qualités sont bien appropriées de point de vue des fonctions de chacune des deux organisations et ceci à travers une élection bien transparente et impartiale où chaque candidat devrait exprimer ses opinions et présenter sa vision. Une telle élection n’ayant pas eu lieu, elle a critiqué la façon dont M. Uemura a été nommé à la tête du Kodokan ainsi que de la Fédération. (18, 20 et 23 fév., 12 et 13 mars, et 23 avr., 2009)

 

Modification des règles internationales

Au sujet des modifications des règles de compétition qui ont eu lieu depuis l’Assemblée générale extraordinaire de la FIJ d’octobre 2008, elle critique l’apparente absence de procédure régissant la modification de règles, modifications qui ne semblent pas avoir pris en considération les sentiments des compétiteurs, la façon dont la Fédération mondiale a appliqué les règles ainsi modifiées, à titre expérimental, aux Championnats des Juniors, etc. Écoutons-la un peu plus en détail :
1) Lorsque on a besoin de changer les règles, il faut appliquer les nouvelles règles à titre expérimental dans des plusieurs tournois internationaux et analyser les résultats avant qu’elles ne soient mises en application officielle.
La modification récente qui rend difficile d’appliquer les techniques telles que morotegari, kuchikidaoshi, kataguruma, etc., est problématique.( 7 jan., 2009, 13 sep., 2009 )
2) Au vu du Grand Chelem de Tokyo de décembre 2009, je vois que le contenu de compétitions s’est nettement amélioré. Ceci étant, il est tout de même un problème de disqualifier tout de suite le combattant qui commet « l'erreur » d’attaquer directement la jambe de l’adversaire. De plus, on voit des cas où l’arbitre perturbe de bons combats par déclarations trop fréquentes de shido. ( 13 et 14 déc., 2009 )
La FIJ explique dans son site internet l’interdiction de l’attaque sous la ceinture par des illustrations photographiques. Or ces explications ne sont pas très claires : il peut y avoir des cas très flous et beaucoup dépendrait du jugement de l’arbitre. Si les critères de jugement ne sont pas définis clairement, le risque est grand pour le combattant. De plus il n’est pas bon d’interdire une prise qui n’est même pas dangereuse. ( 6 jan., 2010 )
3) La Fédération japonaise va décider qu’à partir du 1er mai, les règles de compétition de la FIJ seront appliquées dans toutes les compétitions officielles au Japon. J'apprécie cette décision qui manifeste les nouveaux efforts par le Président de la FJJ, M. Uemura. Mais il reste quelques problèmes tels que l’interdiction de l’attaque sous la ceinture, limitation de l’osaekomi à 25 secondes au lieu de 30. Les Japonais devront être plus sensibles aux modifications de règles internationales et participer aux discussions internationales. C’est une bonne occasion pour le Kodokan de mener des discussions sérieuses sur la position du Japon et de s’exprimer mondialement. ( 24 fév., 18 mar., 2010 )

 

La FIJ et les questions relatives à la gestion des tournois internationaux

Kaori Yamaguchi regarde ce que fait la FIJ d’un oeil bien attentif. Tout en appréciant l’amélioration du contenu de compétitions apportée par le changement des règles, elle s’inquiète de l’effet négatif à long terme des modifications hâtives et parfois met en garde contre les problèmes de gouvernance sous l’autorité de M. Vizer. Voici quelques exemples de ce qu’elle dit.
1) Le système dans lequel la plupart des directeurs sont désignés par son président peut conduire à exclure les personnes qui s’opposent à lui et risque de devenir un système dictatorial. Les directeurs devront être élus par les fédérations nationales membres de la FIJ pour leur permettre d’exprimer leurs voix. ( 4 jan. et 23 fév., 2009 )
En regardant les actions de la FIJ, on s’aperçoit qu’il y une tendance où quelques uns au plus haut niveau de la Fédération prennent des décisions rapides. Si cela se fait sans examens approfondis ou discussions nécessaires, la qualité du judo risque d’être perdue.
De plus ces décisions changent évidemment les aspects des compétitions de judo. Mais, souvent, les explications suffisantes ne sont pas données aux compétiteurs et aux entraîneurs. Me penchant sur ce qui s’est passé pendant l’année écoulée, je ne peux qu’entretenir quelques inquiétudes. Dans cette optique, je m’intéresse à ce que fera le nouveau comité d’athlètes. ( 30 août, et 20 déc., 2009 )
2) La FIJ a publié un classement d’arbitres sur son site. On sait mal dans quel but, par qui, et sur quels critères, cette liste été établie. Les récentes actions de la Fédération sont souvent menées de telle manière. Si des décisions sont prises prématurément et corrigées ultérieurement à cause de défauts trouvés, la fédération peut perdre la confiance en tant qu’organisation mondiale. ( 4 nov., 2009 )
3) J’ai observé le tournoi Masters à Séoul auquel ont participé des combattants placés assez haut dans le classement mondial. Si on continue avec une série de tournois auxquels ne participent que des judokas placés haut dans le classement, il est à craindre que le nombre de participants sera réduit, ce qui, à long terme, peut causer une rétrécissement du monde du judo. D’ailleurs, on a décidé que, désormais, chaque fédération nationale a le droit de faire participer deux combattants dans chaque catégorie de poids dans des grandes compétitions. Cela, aussi, favorise les grands pays de judo et les « petits » pays pourraient hésiter à envoyer leurs participants. ( 17 fév., 2010 )
Une prolifération des tournois internationaux avec le système de classement aurait pour objectif d’inciter des participants de gagner autant de points que possible. Le nombre de médaillés augmentera inévitablement, mais la valeur d’un champion se trouvera diminuée. Dans le cas du tournoi d’Abu Dhabi, qui n’avait qu’une participation très faible, on peut se demander, s’il était vraiment un tournoi « international ». Dans de tels cas, il sera difficile de trouver des sponsors. ( 29 nov., 2009 )
4) ( La parole de Maître Isao Okano, médaillé d’or des Jeux olympique de Tokyo de 1964, ancien champion du Japon, interviewé par Mme Yamaguchi ) Le classement des compétitions internationales qui se divisent en sept catégories de poids devrait être modifié en réduisant le nombre de catégories. Pour que l’esprit du « toutes catégories » perdure, il faut permettre aux combattants légers de participer aux catégories plus lourdes. On pourra alors espérer voir à nouveau « la souplesse vaincre la force » ( 24 mai, 2009 )
5) La Fédération internationale vient d’annoncer sa décision de n’admettre, dans tous les tournois qu’elle organise, que l’usage de judogis fabriqués par les quatre fabricants ayant signé un contrat avec la Fédération. Jamais une quelconque fédération mondiale sportive n'a limité l’usage d’un outil de telle façon! Cela représente un coût important pour les participants des compétitions. Ils se peut que des pays pauvres aient la difficulté de se procurer les judogis pour leurs représentants. Il ne me semble pas que cette question ait été débattue officiellement dans le comité concerné. C’est une décision exorbitante. ( 19 fév. et 6 mar., 2010 )
6) Au mois d’avril de l’année dernière, la PJU ( Pan-American Judo Union ) a porté l’affaire de son éviction de la Fédération mondiale devant le TAS (Tribunal arbitral du Sport). La PJU a gagné le procès. Depuis que M. Vizer a assumé la présidence de la Fédération, une nouvelle règle a été instituée selon laquelle le pouvoir d’ admettre un nouveau membre ou d’évincer un membre aurait été désormais transféré de l’Assemblée générale au Comité exécutif. Je pense que l’arbitrage du TAS est tout à fait raisonnable. ( 5 jan., 2010 )
7) Une des nouvelles habitudes de la FIJ m’inquiète. Il s’agit de la façon de décerner aux vainqueurs sur le podium un gros papier épais en forme de chèque avec le montant écrit dessus. Ce n’est pas très élégant. En plus, ce n’est pas un montant suffisamment élevé pour en faire une grande publicité...
De plus, la Fédération mondiale a décidé par consensus du Comité exécutif de faire partager 20% d’argent donné aux médaillés avec leurs entraîneurs. Je me demande s’il s’agit là d’une nouvelle pratique unique à la fédération de judo.( 12 fév., 2010 )

 

D’autres réflexions sur ce que le judo doit être

1) On parle parfois d’un « vrai judo ». Mais il est difficile de le définir. Il faudrait chercher plutôt un « beau judo ». Voici quelques éléments de la beauté du judo: les deux adversaires se saisissent avec le hikité et le tsurité ; le kumité naturel sans plier le corps, tenter des techniques qui permettent de gagner par l’Ippon ; maintenir l’esprit offensif, etc. Il peut y avoir un beau judo même quant on est battu. ( 28 mar. 2009 )
2) Pour une véritable promulgation, le judo doit être ouvert à tout le monde y compris les enfants et les adultes débutants. Il ne faut pas forcer les judokas à devenir experts. Il est important d’enseigner, non pas nécessairement pour faire gagner, mais pour diffuser les idéaux du judo. ( 26 mar., 2009 )
3) Les Russes emploient quelques entraîneurs étrangers. Les Japonais pensent tout connaître du judo, mais souvent ils ne voient pas leurs propres faiblesses. Ce serait une bonne chose d’échanger des entraîneurs entre le Japon et la France. ( 18 mar., 2009 )
Le Japon devrait inviter plus de judokas étrangers aux universités et faire des échanges internationaux dans le domaine du judo. C’est bon du point de vue de l’éducation culturelle et il y a aussi des mérites pour les compétitions. ( 18 mai, 2009 )
4) ( Le propos du Maître Okano interviewé par Madame Yamaguchi sur l’importance du judogi ) La forme du judogi vient du kimono, le vêtement traditionnel du Japon. Le kimono donne à celui qui le porte le sentiment d’abondance d’espace, c’est à dire un espace entre le corps et le vêtement ( en japonais c’est l’«asobi »). Cette abondance d’espace rend possible un judo où « la souplesse peut vaincre la force ». Or, aujourd’hui, on se trouve en présence d’une transformation du judo. C’est à dire d’un judo où les deux adversaires se saisissent le judogi à un judo où les deux adversaires s’empêchent de se saisir. On voit parfois des judogis dont le revers est trop épais ou l’ampleur de la manche trop étroite. Je m’inquiète: les techniques du judo se trouvent dégradées à cause de cette tendance. Le judogi a besoin d’avoir l’asobi. ( 22 mai, 2009 )

 

La nécessité d’une solidarité internationale

Voilà quelques exemples de ce que dit Kaori Yamaguchi. Moi, je trouve toujours ses arguments raisonnés et logiques. Je sens chez elle, aussi, un enthousiasme soutenu pour promouvoir un « beau judo ». D’ailleurs je considère que c’est un sentiment partagé par la plupart des judokas japonais. Pourtant, hélas, aucun mouvement dans cette direction ne surgit. Ceci peut-être parce que les Japonais ont tendance à se résigner face aux évolutions du monde et, dans le cas de judo, on se contente de faire des efforts maximums pour gagner autant de médailles possibles dans le cadre international existant.
Partout dans le monde il existe des gens qui cherchent à pratiquer un « beau judo ». Il est souhaitable que des discussions plus larges et démocratiques soient menés concernant le judo et la façon de gérer les compétitions.
Dans tous les pays, dans toutes les organisations ou des groupes humains, il y a inévitablement des différences d’opinion ou des conflits. C’est plutôt normal et sain. L’important, c’est de déterminer ce qu’on cherche à réaliser. Et s’il y a des conflits, il faudrait avoir un mécanisme juste et démocratique pour coordonner les différentes positions et résoudre les problèmes. Les organisations qui détiennent un tel système prospèrent alors que celles qui n’en ont pas s'affaiblissent. Il faut qu’il y ait une solidarité internationale en ce sens.
Quoi qu'il en soit, les idées présentées par Madame Yamaguchi sont toujours de bons points de départ de discussion.